Il y a quelques jours, le quotidien français Le Monde annonçait en grande pompe avoir percé à jour une opération de propagande de la Chine. Leur trouvaille ? Un article publié sur le site de la CGTN, une chaîne d’information publique chinoise, par une journaliste française qui, selon eux, n’existe pas. Problème : le Figaro a pu interroger la personne en question.

À l’instar d’autres médias nationaux, Le Monde dispose pourtant d’un service destiné à combattre les intox et à vérifier les sources [Le Décodex]. Il aurait peut-être dû s’en servir avant d’affirmer que la « télévision chinoise » avait « inventé une journaliste française ». L’article a depuis été modifié, mais le problème est ailleurs et est bien plus vaste.

En réalité, dès lors qu’il s’agit d’un pays, ou d’une entité, désigné comme ennemi, les médias ont tendance à s’asseoir sur deux principes fondamentaux du journalisme : la vérification des informations et le respect du contradictoire. Tout peut-être dit, amplifié, inventé ; personne ne viendra affirmer le contraire, auquel cas on le traitera de complotiste ou pire de complice du pays dénoncé. C’est d’ailleurs exactement ce qu’il se serait produit dans cette affaire, si le Figaro n’avait pas fait cet « effort » journalistique, censé pourtant être la base du métier.

« Les résistances psychologiques à la guerre dans les nations modernes sont si grandes que chaque guerre doit apparaître comme une guerre de défense contre un agresseur menaçant et meurtrier. Le public doit haïr. La propagande doit veiller à ce que toutes les idées qui circulent fassent porter l’unique responsabilité sur l’ennemi. »

Harold Lasswell, théoricien US de la communication, responsable de l’unité de guerre politique de l’armée des Etats-Unis, 1927 (1)

Inventer une fausse information pour dénigrer une nation est un procédé vieux comme le monde. Le but étant à chaque fois d’essayer de convaincre l’opinion publique que tout est noir chez l’ennemi, quitte à mentir partiellement ou totalement. Aujourd’hui, la Chine et la Russie sont les cibles à abattre. Il n’est donc pas étonnant que de reportages en émissions spéciales les critiques pleuvent sur ces deux états. Lorsqu’on y regarde de plus près, la différence du traitement médiatique entre deux évènements similaires, suivant le pays dans lequel il se déroule, est flagrante pour quiconque prend le temps de s’y intéresser. Deux exemples. Depuis novembre, des millions d’agriculteurs indiens manifestent dans ce qui est devenu la plus grande grève de l’histoire. Avez-vous entendu parler de cette mobilisation inédite ? Non. Aucun média, ou presque, n’a traité le sujet. Après tout, le gouvernement indien est un allié des chancelleries occidentales. Le traitement médiatique a en revanche été bien plus net lorsque des manifestations de soutien à Navalny ont éclaté en Russie. Qu’importe les positions ouvertement xénophobes que ce dernier a pu avoir dans le passé, et qu’importe que les mobilisations de janvier n’aient « été timidement reçues par les Russes : 22% d’opinions favorables, très loin des 80% dont pouvaient se targuer par exemple les Gilets jaunes français au début du mouvement« , rapporte Le Monde diplomatique, dans son numéro de mars 2021.

Quant à l’invasion d’une assemblée, elle sera au choix louée ou condamnée. A Hong-Kong, les manifestants qui entrèrent dans le parlement local et le vandalisèrent furent qualifiés de « pro-démocratie ». Aux Etats-Unis, les soutiens de Donald Trump qui firent irruption au Capitole furent dénoncés et diabolisés. On n’ose imaginer ce qu’il se serait passé si les Gilets jaunes étaient entrés au Sénat ou à l’Assemblée nationale.

La parole est donnée à un seul camp

Au cours de l’histoire récente, les mensonges ayant mené à des guerres où à des interventions sont nombreux et connus. Le Monde diplomatique, dans un article récemment repartagé, rappelait comment, il y a 30 ans, Le Monde et consorts avaient recopié la propagande de l’OTAN visant à bombarder la Yougoslavie. Tout était faux, mais il n’y a jamais eu de mea culpa.

Concernant le contradictoire, dès lors qu’il s’agit de la Chine ou de la Russie (en réalité de toute Nation qui, à l’instant T, est désignée comme l’ennemi – la Yougoslavie dans les années 90′ ; l’Irak en 1991 et en 2003 ; la Libye en 2011 ; le Venezuela dans les années 2010′ etc.), la parole est donnée à un seul camp, sans possibilité pour les autres protagonistes de venir donner leur point de vue. Malheur à ceux qui osent remettre en question cet ordre, même partiellement. Pourtant, se questionner sur les réelles motivations de la guerre menée contre la Syrie ne revient pas à être pro-Assad. Et je ne suis pas plus membre du Parti communiste chinois, que les millions de personnes qui manifestaient en Europe en 2003, contre la guerre en Irak, n’étaient des soutiens de Saddam Hussein.

Est-ce que cette couverture médiatique est là pour nous préparer à une intervention contre les pays ciblés ? Gageons que non. En pleine pandémie, l’heure devrait plutôt être à la solidarité entre les nations. Après tout, au plus fort de la première vague, la Chine, la Russie et Cuba n’étaient-ils pas venus en aide à l’Union européenne, en envoyant masques, respirateurs, tests, matériel médical en tout genre et personnel soignant ?


(1) : cité dans La gauche et la guerre, analyse d’une capitulation idéologique, BOUAMAMA Saïd et COLLON Michel, Investig’action.

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